Mise en danger de l’ensemble des entreprises de la restauration du patrimoine et des artisans d’art par la proposition de loi n°4955 : portant création d’un titre protégé de conservateur‑restaurateur.
Nous, entreprises de la restauration du patrimoine culturel, artistique (1), artisanal ou industriel, tenons à alerter les législateurs sur la promotion d’une proposition de loi qui nous menace tous. Toutes si ça s’accorde avec entreprises ? En effet le projet de loi portant sur la création d’un titre protégé de conservateur-restaurateur porte un coup fatal à nos activités pourtant révérées et reconnues. Il entend nous priver de nos moyens de subsistance.
Voici le résumé des principes portés par la proposition de loi :
- la conservation-restauration comprend la conservation préventive, la conservation curative et la restauration
- les actions de conservation-restauration sont du ressort des conservateurs-restaurateurs
- seules les personnes titulaires du master peuvent se nommer conservateurs-restaurateurs
Concrètement, ce projet de loi exclu tous les autres acteurs de la filière de la conservation-restauration et de la restauration. Notamment tous les ébénistes, les restaurateurs de tableaux, de peintures murales, de retables, de bois dorés, d’instruments de musique, de sculptures, de métaux, les vitraillistes, les selliers, les spécialistes de la restauration des métaux, des livres, des tissus, des vêtements… ne pourraient plus répondre à des demandes publiques de restauration puisque seuls les diplômés de l’ INP – Institut National du Patrimoine – ou de l’université Paris -Sorbonne, seuls à décerner le diplôme de conservateur-restaurateur, seraient autorisés à pouvoir se prévaloir de cette compétence.
La protection du titre suppose que lors d’un appel d’offre le terme de « conservateur-restaurateur » constituera le mot clé qui exclura de fait tous les autres, les artisans d’art au premier chef, ceux-là même qui travaillent parfois depuis des décennies pour les monuments historiques.
Si le secteur de la propriété privée ne sera pas impacté de la même manière, on peut imaginer sans peine quelles seront les répercussions de cette loi.
Consolidés par des travaux d’envergure, les titulaires d’un diplôme de conservateur-restaurateur bénéficieront d’une autorité de fait ainsi que d’une visibilité supérieure et de qualité, tandis que les autres intervenants de la filière seront relégués au second plan.
Cette loi fait peser sur l’ensemble de ces entreprises une menace d’effondrement, voire à terme de disparition, car que vont devenir tous ces travailleurs qui, du jour au lendemain, ne pourront plus répondre aux appels d’offre ?
Il ne faut pas négliger l’importance sociale de tous ces artisans ni leur importance économique : assurances, locations, achat de matériels, salariés : tout cela est constitutif de la filière et est le fait des entreprises. Cette proposition de loi fragilise et menace tout/l’ensemble d’un secteur économique sans qu’il ne soit fait la démonstration de l’incompétence de tous ces travailleurs pour lesquels aucun dispositif de compensation n’existe (chômage, allocations…)
Si, dans le préambule de la proposition de loi, il est question des travailleurs et des savoir-faire connexes et complémentaires le projet de loi ne reprend pas cette notion.
Il est aisé d’en conclure que la sauvegarde de ces emplois n’est ni l’objet, ni la préoccupation de ce texte. En revanche, reconnaissant les compétences transversales des conservateurs-restaurateurs, ce projet de loi affirme la prééminence de ces travailleurs. La liste des tâches dévolues aux conservateurs-restaurateurs est sur ce point éclairante : tous les secteurs communément couverts par la restauration sont désignés mais s’ajoutent également la maîtrise d’œuvre, l’expertise et le conseil. Le « tout en un », l’ « omnicompétence ». En conséquence non seulement ils se substituent aux restaurateurs mais ils s’ajoutent également aux autres professionnels du secteur qui interviennent déjà en tant qu’expert et conseil.
Ainsi ce projet de loi étend le domaine d’autorité des conservateurs-restaurateurs à l’ensemble des secteurs de la conservation restauration et déboute les professionnels de la restauration en activité.
En ce qui concerne l’article 2 portant sur les professionnels en exercice. Il s’agit d’un article extrêmement ambigu. Non seulement il renvoie ces conditions à un décret laissant la survie professionnelle de ces praticiens suspendue à un texte qui n’est explicité nulle part, mais également à la publication d’un décret dont on sait qu’il peut être temporellement extrêmement distant de la loi. Il n’est pas impensable que si les praticiens, c’est-à-dire les entreprises, n’ont pas été consultés durant l’élaboration de cette loi, ils ne seront pas plus considérés pour ce décret.
Mais justement en ce qui concerne les « praticiens en activité », il est fait mention qu’ils doivent « satisfaire à des conditions de formation ou d’expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné à l’article premier de la présente loi. » Ces conditions sont déterminées par décret pour obtenir le titre.
Il n’est pas inutile de s’arrêter sur la notion de nécessité d’obtention du titre. Si jusqu’à ce jour il était possible de répondre à un appel d’offre en ayant des compétences similaires du fait d’une expérience professionnelle avérée, la nécessité du titre introduit l’obligation pour les professionnels d’avoir le titre pour répondre, ce dernier avalisant seul l’expérience ou les compétences.
Par conséquent l’appréciation des compétences ne serait plus comme jusqu’à présent dévolue aux acteurs publics (DRAC, conservateurs…) mais aux deux organismes certificateurs que sont l’INP et Paris Sorbonne. Tous les rapports [1] qui ont essayé d’améliorer la lisibilité du secteur confirment que la VAE – validation des acquis par l’expérience- n’est pour l’heure pas adaptée aux professionnels en activité et qu’il s’agit d’une procédure quasi excluante, renforcée par le fait d’un acteur à la fois juge et partie.
Il suffit de se rendre sur les sites respectifs des deux écoles concernées pour se rendre compte à la fois de la complexité de la procédure et de son caractère aléatoire :
En effet afin de passer la VAE payante (jusqu’à 2800 € pour la Sorbonne), il faut constituer un dossier d’un minimum de 80 pages, passer devant un jury composé d’enseignants de ces deux écoles publiques parisiennes. Ce jury va alors se comporter comme un jury d’examen et évaluer le candidat non sur la base de son dossier mais sur un oral.
Le taux de réussite est si bas, qu’il apparaît que l’obtention de la VAE n’est pas la règle mais l’exception. Il est alors question d’une VAE partielle assortie de cours en présence à Paris parfois durant un an. Ces cours avec des élèves ayant suivi un cursus universitaire sont terminés par des partiels (examens) pour la Sorbonne, un nouvel oral pour l’INP. Concrètement les travailleurs de Paris mais aussi ceux de province qui ont sacrifié une année de travail pour obtenir la VAE n’ont absolument aucune assurance d’obtenir le titre puisqu’il est conditionné par l’obtention de partiels.
On notera que la loi est muette sur cet aspect. Pourtant si la VAE est dans la plupart des cas une condition pour améliorer et qualifier son entreprise pour gagner de nouveaux marchés, jamais elle n’a été envisagée comme une condition pour conserver son activité. Or cette loi modifie cet ordre. Afin de demeurer en activité, on oblige à l’obtention d’un titre. Pour obtenir ce titre, il faut donc payer, ajouter à son temps de travail du temps consacré à l’élaboration d’un mémoire de plus de 80 pages pendant un an, s’expliquer devant un jury à la fois juge et partie (puisqu’il forme les conservateurs-restaurateurs, ceux-là même qui ont les compétences supposées manquantes chez les praticiens), ensuite abandonner famille et vie professionnelle durant un an ou plus et encourir le risque à la fin de n’avoir ni titre ni travail.
Il est difficile d’imaginer situation plus inique.
[1] Rapport Huppé, p 89-90 Rapport d’inspection sur les conséquences de l’inscription des professionnels du patrimoine dans la liste des métiers d’art, p.9 p.33 p.40
Nous, artisans du patrimoine, restaurateurs d’objets et de formations diverses, demandons au législateur de s’abstenir de nous porter un coup fatal par cette loi, de travailler à restaurer les liens entre les instituts publics universitaires plutôt que d’entretenir une défiance vis à vis du monde professionnel, de ne pas dégrader encore plus la situation des artisans qui ont également été durement touchés par la crise du coronavirus et par l’augmentation du coût des matières premières. Nous demandons au contraire aux représentants de la Nation de nous soutenir dans nos démarches de modernisation et d’amélioration en réfléchissant à un plan d’acquisition de compétences complémentaires ambitieux.
Nous sommes force de proposition et non un obstacle dans l’entreprise vertueuse de valorisation, de préservation et de transmission du patrimoine. Nous pouvons ajouter enfin que la conservation restauration entend préserver des œuvres auxquelles nos métiers ont contribué. Tous ces doreurs, ces ébénistes, ces vitraillistes et facteurs d’instruments entre autres ont participé à la création de ces œuvres et c’est au travers de celles-ci que nous gardons vive la mémoire de ces gestes et de ces savoirs.